Tribune publiée le 17 janvier 2017 dans l’Humanité.
Un œil sur la campagne. Six hommes, une seule femme, et pas grand monde parmi les candidats à la primaire pour trouver cela anormal. Les droits des femmes, un discours prétexte ? par Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme !.
Je m’appelle Raphaëlle Rémy-Leleu, j’ai 24 ans, et chaque matin je me lève pour porter un combat : celui de l’égalité. Ça, au moins, je le sais. Mais après les débats de la primaire socialiste, une question ne m’a pas quittée, ces candidat(e)s, qu’est-ce qui les fait se lever le matin ?
De mon côté, c’est assez clair. Je veux conquérir l’égalité, la vraie, pas une vague devise qu’il est facile d’inscrire sur les frontons sans s’engager pour autant. L’égalité comme la base d’une société juste, apaisée, bienveillante. Pour cela, il faut mettre à bas les systèmes de domination. En tant que porte-parole d’Osez le féminisme !, je vais bien sûr vous parler de celui que je combats au quotidien : le patriarcat, qui organise l’accumulation du pouvoir entre les mains des hommes. Le pouvoir des mots aussi. Le pouvoir de la violence. Le pouvoir de vie et de mort. Sur les autres. Sur les femmes. Sur nous.
Vous m’excuserez la métaphore guerrière, mais si je parle de combat, c’est aussi que j’en ai marre d’écrire qu’il faut défendre les droits des femmes. « Achetées, vendues, violées », dit l’hymne des femmes. Ajoutons « culpabilisées, humiliées, tuées ». Nous sommes en permanence piétinées. Alors, non, nous ne défendons pas seulement les droits des femmes. Nous attaquons pour être enfin libres et protégées. Nous combattons les violences qui nous enferment. Nous conquérons chaque sujet, tenons à chaque mot comme on tient une position.
J’ai regardé ce fameux débat de la primaire de la Belle Alliance populaire. Et j’en suis ressortie atone. C’est étrange cette sensation d’engourdissement à la fin d’un débat. Je n’y suis pas habituée en tant que militante. Je suis familière du sentiment de révolte, d’espoir également, deux moteurs de l’engagement. Mais voilà que survient l’ennui. C’est très dangereux, l’ennui. Cela immobilise. Comment en suis-je arrivée là ? Bien sûr, j’ai été choquée par la composition du plateau. Six hommes, une femme. Mais je le savais déjà. Personne ne semble remarquer le problème. J’aimerais tout arrêter dès ce moment. Face à un panel si peu représentatif que c’en est méprisant. Quelqu’une dira bien que cela n’est pas acceptable ? Émettra au moins un regret ? Une vague contrition ? Non. Tant de résignation.
Osez le féminisme ! avait publié un visuel soulignant le manque de représentation des femmes à cette primaire. Là, nous avions été confrontées au bruit. Celui des personnes qui s’agitent pour défendre leur organisation. Les réactions avaient été franchement pitoyables. La parité ne serait qu’une question de forme. Il est difficile de s’intéresser à un débat sur cette base. Allez, je me force, je prends sur moi encore une fois, j’écoute. J’entends parler de « nouvelle voie » pour la politique. Je ne peux m’empêcher de penser à l’expression « la politique à papa ». Que fait maman pendant ce temps-là, l’histoire, écrite par les vainqueurs, ne le dit pas. J’entends parler de Français(e)s « d’origine musulmane ». Je suis atterrée par l’ineptie de la chose. Effrayée par la porosité au discours de l’extrême droite. J’entends qu’il est normal de ne pas parler des droits des femmes. Parce que c’est une évidence. Il était ennuyeux, ce débat et cela m’enrage. C’est ce qui a fini par me décider à vous écrire. Pour refuser l’anesthésie et oser de mon côté, dès demain encore, me lever pour mener un combat dont ils ne formulent même plus la promesse. Il y a urgence à avancer. Il faut que chaque lendemain soit un progrès, jusqu’à ce qu’on atteigne enfin plus de trois jours sans qu’une femme ne meure.